Des projets potentiels de GNL laissés de côté, mauvaise nouvelle pour la croissance

LONDRES/NEW YORK, le 7 juillet – Une nouvelle étude internationale sur le gaz publiée aujourd’hui par Carbon Tracker Initiative, une organisation basée à Londres, révèle que 283 milliards de dollars de projets potentiels de gaz naturel liquéfié (GNL) pourraient s’avérer excédentaires en cas de scénario de faible demande.

Dans le contexte de la transition vers une économie sobre en carbone, la demande de gaz pourrait encore croître jusqu’en 2040, contrairement à celle de charbon et de pétrole qui devrait atteindre un pic, puis baisser. Toutefois, si le monde doit respecter un budget carbone en mesure de limiter le réchauffement climatique à 2 °C, conformément à l’objectif défini par les Nations unies, les entreprises énergétiques devront bien choisir leurs projets gaziers[i]. Il en va de même pour le scénario de faible demande examiné dans le cadre de ce rapport.

Les auteurs de l’étude expliquent qu’au cours des dix prochaines années, 82 milliards de dollars de dépenses d’investissement potentielles dans des usines de GNL s’avéreront superflus au Canada, ce montant s’élevant à 71 milliards de dollars aux États-Unis et à 68 milliards de dollars en Australie selon le scénario de faible demande.[ii] La valeur des projets de GNL inutiles s’élève à 379 milliards de dollars à l’horizon 2035.

« Les investisseurs devraient analyser le véritable potentiel de croissance des entreprises de GNL pour la prochaine décennie. En raison de l’offre excédentaire actuelle de GNL, il existe déjà toute une série de projets qui attendent d’être lancés. Il est difficile de déterminer s’ils s’avéreront nécessaires et généreront de la valeur pour les actionnaires », explique James Leaton, responsable de la recherche pour Carbon Tracker.

Cette analyse, qui vient compléter la série de courbes d’offre du carbone réalisées par le think tank, suit une approche semblable à celle des études relatives au pétrole et au charbon parues l’année dernière et qui ont permis d’identifier des projets à haute teneur en carbone et aux coûts élevés. Elle révèle que de nouveaux projets reposant sur un prix du GNL de plus de 10 $/MBTU pourraient s’avérer inutiles au cours des dix prochaines années.

Le rachat convenu de BG par Shell pour un montant de 70 milliards de dollars réunira deux entreprises dotées de grands projets de GNL pour les dix prochaines années, ce qui en fera de loin le principal acteur du marché. Shell a déclaré qu’elle espérait une remontée des prix du pétrole à 90 dollars le baril en faisant son offre, ce qui se traduit par un prix du GNL lié au pétrole de 14-15 $/MBTU selon les formules classiques de tarification des contrats. L’analyse prévoit que 85 milliards de dollars de futurs projets potentiels de GNL envisageables pour Shell et BG pourraient ne plus être nécessaires en cas de scénario de faible demande à l’horizon 2035.

Selon cette même étude, 16 des 20 plus grandes entreprises de GNL envisagent de réaliser de futurs grands projets qui ne seront sans doute plus nécessaires pour répondre à la demande d’ici à 2025. Seules trois entreprises, à savoir ENI, Cheniere et Noble, présentent d’autres projets nécessaires pour répondre à la demande d’ici à 2025. La dernière entreprise, Total, ne prévoit le développement d’aucun nouveau projet de GNL au cours de la prochaine décennie, en dehors de ceux déjà opérationnels ou en construction.

« La taille de l’industrie gazière en Amérique du Nord pourrait être très éloignée des projections du secteur, notamment celles qui prévoient de nouvelles industries de GNL aux États-Unis et au Canada. Il sera important d’éviter la combinaison du gaz de schiste américain exporté comme du GNL si nous voulons utiliser le budget carbone de façon optimale », a déclaré Andrew Grant, analyste en chef chez Carbon Tracker et co-auteur du rapport.

Le gaz est considéré comme le combustible fossile le plus propre et d’énormes investissements ont été réalisés dans le développement de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz. La quantité de gaz nécessaire sera toutefois limitée dans un monde déterminé à maintenir le réchauffement de la planète sous la barre des 2 °C, notamment au vu de l’excédent actuel de GNL ; il est d’ailleurs probable que les sources d’approvisionnement les moins chères soient utilisées en premier. L’étude analyse les projets que les entreprises envisagent sans toutefois avoir pris de décision finale d’investissement.

« Le gaz naturel est une question complexe dans le cadre d’un monde sous contrainte carbone. Il peut offrir de meilleurs résultats que le charbon, mais le secteur gazier doit poursuivre ses efforts en vue de réduire ses émissions fugitives s’il finit par représenter une part trop importante du bouquet énergétique, cette approche pourrait alors être toujours incompatible avec l’objectif des 2 °C sur le long terme », explique Mark Fulton, conseiller chez Carbon Tracker et co-auteur du rapport.

L’étude indique qu’une combinaison parfaite de facteurs augure une transition rapide vers un système énergétique sobre en carbone. Des énergies renouvelables meilleur marché, des mesures d’efficacité énergétique renforcées, de nouvelles technologies de stockage, des prix du carbone plus élevés et des prix fluctuants pour l’énergie sont autant de facteurs qui influenceront la demande mondiale de gaz. À mesure que les coûts des énergies renouvelables diminuent, certaines régions sont susceptibles de faire l’impasse sur le gaz pour passer directement aux énergies renouvelables.

Les récents appels lancés par l’industrie gazière et pétrolière européenne pour la mise en place d’un prix mondial du carbone montrent que l’industrie est mise sous pression pour démontrer qu’elle a un rôle à jouer dans un avenir sobre en carbone. La production de gaz naturel donne lieu à des fuites de méthane, un gaz à effet de serre très nocif. Ces « émissions fugitives » doivent être maintenues sous la barre des 3 % pour le gaz, afin qu’il puisse conserver ses avantages climatiques sur le charbon ; il est donc primordial pour le secteur de les réduire au maximum.

« Les émissions fugitives sont dans la ligne de mire aux États-Unis : les régulateurs, les investisseurs et les dirigeants d’entreprises tentent par tous les moyens de démontrer les avantages climatiques du gaz par rapport au charbon », a affirmé Anthony Hobley, PDG de Carbon Tracker.

Selon le rapport, les émissions de gaz à effet de serre les plus importantes sont produites par les gaz non conventionnels fournis par des infrastructures de GNL. Les auteurs de l’étude affirment néanmoins qu’environ 17 % du GNL issu du gaz de schiste nord-américain ou du méthane houiller australien est nécessaire dans le cadre d’un scénario de faible demande.

Plus de la moitié des dépenses d’investissement inutiles analysées sont liées à des projets de gaz non conventionnel (comme le gaz de schiste, le gaz compact et le méthane houiller) aux États-Unis et au Canada. Les auteurs de l’étude affirment que les futures émissions de gaz à effet de serre diminueront si le monde renonce à ces sources d’approvisionnement.

L’analyse de Carbon Tracker répartit la croissance de la demande sur trois principaux marchés : l’Amérique du Nord, l’Europe et le GNL international qui, lorsqu’ils sont combinés, représentent la moitié du marché gazier mondial ; le reste du gaz est en grande partie produit et consommé au niveau national et n’interagit donc pas avec les marchés gaziers d’envergure mondiale. D’après les données économiques des projets, il est peu probable que le gaz de schiste connaisse le même essor en Europe qu’aux États-Unis.

« Les données économiques montrent que l’approvisionnement britannique en gaz non conventionnels aura du mal à être compétitif sur le marché du gaz au cours des dix prochaines années et le gaz de schiste ne devrait représenter qu’un faible volume si les projets avancent bel et bien », conclut Andrew Grant.

Notes à l’intention des rédacteurs

[i] Le budget CO2 pour le gaz dans le scénario de référence est de 216 GtCO2, soit 24 % du budget total de 900 GTCO2 pour 2050. Il se fonde sur la part des émissions du charbon, du pétrole et du gaz prévue dans le scénario 450 de l’AIE. Selon le Grantham Research Institute on Climate Change de la London School of Economics, ce budget offre une probabilité de 80 % de limiter le réchauffement anthropique à 2 degrés.

[ii] Le scénario de faible demande de Carbon Tracker est inférieur au scénario « Nouvelles Politiques » de l’AIE, mais supérieur à son scénario 450 (voir le graphique comparant la demande mondiale de gaz à l’horizon 2035). Il reflète une demande moins élevée que d’habitude qui se fonde sur les dernières informations disponibles et le contexte changeant quant aux futurs projets. Ce scénario démontre que la tendance est à une baisse de la demande de combustibles fossiles.